Dysfonctionnement graves au sein de l’Autorité de protection des données en Belgique

2022-04-30 Off By dporgpd

C’est un procès peu banal qui se tient actuellement au sein de la commission Justice du Parlement. A la barre, deux codirecteurs de l’Autorité de protection des données (APD), la gardienne de la vie privée secouée depuis plus d’un an et demi par les dénonciations sur les conflits d’intérêts et incompatibilités légales. Après un an et demi de débats, les députés avaient tranché : épargner Frank Robben (pourtant directement visé par l’infraction grave au RGPD épinglée par la Commission européenne, il a finalement lui-même remis sa démission in extremis). Et lancer une procédure de révocation de mandats à l’encontre de deux, et seulement deux, des cinq codirecteurs de l’APD. Ou plutôt des quatre encore en poste puisque la démission d’Alexandra Jaspar leur a coupé l’herbe sous le pied le 8 décembre dernier. « Pour éviter cette mascarade face aux faits dénoncés », relevait-elle.

Reste donc, d’une part, David Stevens, président de l’institution. Et d’autre part Charlotte Dereppe. Soit celle-là même qui, avec Alexandra Jaspar, avait successivement alerté le comité de direction, le Parlement et la presse sur le fait que l’APD était devenue « inopérante ». Sans autre résultat donc que le procès qui se tient aujourd’hui, à huis clos, en Commission Justice. La première audition s’est tenue mercredi dernier. Ce mercredi, c’est au tour des premiers témoins invités par les « accusés » d’être entendus.

Historique

Le moment est historique. Pour la première fois dans l’histoire du Parlement, les députés sont en passe de révoquer des personnes qu’ils ont eux-mêmes mandatées dans une institution dont ils ont le devoir de garantir l’indépendance (comme le Conseil d’Etat, la Cour des comptes ou le Comité P). Qui plus est, à la barre, se retrouve celle qui, paradoxalement, avait lancé l’alerte sur les conflits d’intérêts. «J’aifait le travail pour lequel vous m’avez désignée, à savoir faire respecter le RGPD en Belgique », a-t- elle plaidé devant ceux qui, en vertu de l’article 6 de la directive européenne sur la protection des lanceurs d’alerte, auraient dû lui assurer une «protection» plutôt que des représailles.

Sauf que ladite directive n’est toujours pas transposée en droit belge. «Depuis le début, cette procédure est bancale», glisse, off the record, un député de la Vivaldi, reconnaissant du bout des lèvres son caractère «donnant-donnant»: «une tête flamande contre une tête francophone ». Le recours pour «procès non équitable» et autres manquements aux droits de la défense (ce qui vaut également pour David Stevens) semble inévitable. Il est d’ailleurs clairement établi dans la note du cabinet d’avocats Stibbe, commandé par le Parlement. Mais non transmis aux accusés, lesquels ne disposent donc pas de toutes les pièces du dossier.

Dans un entretien, Didier Reynders, commissaire européen à la Justice, avait très clairement souligné qu’il serait attentif aux « révocations abusives de mandat» de membres de l’Autorité, comme la Hongrie avait tenté, en vain, de le faire. Le cas de Charlotte Dereppe a aussi soulevé les inquiétudes de la société civile européenne. Dans une tribune et sur Mediapart, plus de 80 personnalités et associations, des quatre coins de l’Europe, des Etats-Unis et d’Afrique (avocats, académiques, défenseurs des droits humains…), disent être « inquiets des menaces qui pèsent sur la protection des données personnelles en Belgique et des brèches qu’elles ouvrent en la matière dans toute l’Europe ». « À l’heure où l’Europe se veut le fer de lance de la protection des lanceurs d’alerte avec une directive résolument progressiste qui interdit toute forme de représailles», dénoncent-ils, «la Belgique souhaite-t- elle vraiment donner un tel exemple ? À travers le cas de Charlotte Dereppe, ce sont tous les professionnels qui sont sommés de fermer les yeux sur les pratiques répréhensibles dont ils sont témoins. Ne souhaite-t-on pas, au contraire, les encourager à défendre l’intérêt public?»

« Le piège, c’est de réduire les manquements dénoncés par les lanceuses d’alerte à un conflit interpersonnel ou un simple problème de management », nous glisse Pierre-Arnaud Perrouty, directeur de la Ligue des droits humains. Ce que, précisément, tente de faire valoir la majorité parlementaire en Commission Justice. Comme elle se refuse, par ailleurs, toujours à huis clos, de considérer le statut de « lanceur d’alerte » de la codirectrice de l’APD.

Sur la forme, la procédure de levée du mandat de Charlotte Dereppe lancée par le Parlement soulève de nombreuses questions. « Personne ne l’a demandé », souligne une juriste proche du dossier. «Les députés, de leur propre initiative, se sont transformés en procureur (pour constituer le dossier à charge), en juge d’instruction (pour chercher les preuves) et maintenant en juge de fond. Le tout à huis clos. »