Les banquiers jouent à cash-cache avec les données personnelles
Au prétexte de lutter contre l’inflation, ils proposent le remboursement d’une partie de vos dépenses à condition de lever le secret bancaire sur vos comptes.
ON NE REMERCIE jamais assez son banquier ! Depuis quelque temps, ce dernier vous propose de vous restituer une (petite) partie de votre argent lorsque vous le dépensez ! Tel est, en tout cas, le résumé de sa com. Et la hausse des prix donne du poids au message. Exemple ?
La Banque postale, « banque citoyenne », qui, « dans le contexte inflationniste actuel », vient de mettre en place, à la fin de mars, « un programme de cashback, gratuit et sans engagement, pour permettre à ses clients de faire plus d’économies et de mieux consommer ».
Plus d’achats (auprès de commérçants partenaires de la banque) égale plus d’« économies ». Chouette, non ?
Le cashback (un anglicisme que les commerciaux français n’ont pas fait l’effort de traduire par « remboursement ») a la cote : après les banques en ligne, la plupart des grands établissements s’y mettent, de la BNP aribas, en automne dernier, à La Banque postale, aujourd’hui, en passant par la Société générale. Seul LCL, qui, en 2014, avait donné le coup d’envoi, a décidé de faire marche
arrière… faute d’un nombre suffisant d’enseignes partenaires.
A votre bon cœur de cible
Le pourcentage du montant de l’achat généralement reversé oscille en moyenne entre 0,5 et 5 %, et l’utilisation de la « cagnotte » ainsi constituée fait même l’objet de suggestions pour les clients en mal d’idées. Ainsi La Banque postale propose-t-elle de se servir du cashback pour abonder des projets de reforestation ou soutenir la Ligue pour la protection des oiseaux, voire Les Restes du cœur. Les
piafs ou les pauvres, cruel dilemme…
Une opération marketing se dissimulerait-elle là-dessous ?
Disons qu’il s’agit d’appâter le client, de le fidéliser et de le pousser à la consommation avec la carotte de la ristourne. La banque, elle, se rémunère avec les commissions sur les paiements par carte bancaire et ne demande rien, jure la BNP, aux enseignes partenaires.
Vrai ? Presque, car elle détient une arme de guerre qui vaut de l’or : les données personnelles des clients, qui, grâce à l’« historique des transactions », lui permettent de tout savoir des habitudes
d’achat des titulaires de compte. Or cette pratique ouvre la voie à une drôle d’opération lucrative :
chaque client de la BNP adhérant à son programme de cashback doit accepter de « relever » celle-ci de son « obligation au secret bancaire », rien que ça !
Débarrassé du secret, l’établissement financier peut transférer les « données d’identification, données
bancaires et données de transaction des six derniers mois » de l’heureux souscripteur à un prestataire extérieur nommé PayLead. Des données toutefois « pseudonymisées », précise la BNP. A charge pour ce prestataire de « présenter les offres » de commerçants auxquelles ledit souscripteur est éligible.
PayLead ne rémunère même pas la BNP pour le transfert de toutes ces données, affirme la banque. Trop sympa ! Quant à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui doit normalement autoriser toute cession de données personnelles, la BNP concède avoir eu « récemment l’occasion d’évoquer» le sujet avec elle – ce qui n’est pas tout à fait un feu vert…
Se faire rembourser une partie des ses dépenses par sa banque, qui n’en rêve pas ?
Mais, quand, en échange, il faut accepter de la délivrer de son obligation de secret
bancaire, il y a de quoi s’inquiéter.